Le labyrinthe de Patrice Lessard
Patrice Lessard
Héliotrope, 337 pages
3 étoiles et demie
Patrice Lessard est une bibitte rare dans notre littérature, un de ceux qui poussent le plus loin le mécanisme fictionnel et la réflexion sur l’acte d’écrire. Pas un sujet nouveau en soi, mais traité avec la dose parfaite d’autodérision et d’intelligence qui fait de son travail un objet unique.
Dernière partie de sa trilogie lisboète après et , – titre d’un tableau de Goya – est un véritable exploit narratif, totalement jouissif pour qui a envie de jouer le jeu auquel il est convié.
Labyrinthe aux ramifications aussi nombreuses qu’impénétrables, parcours éthylique et insomniaque comme l’étaient les deux précédents romans, raconte l’histoire d’un écrivain, Patrice Lessard, qui se rend à Lisbonne pendant l’été 2011 pour écrire un roman.
Chaque chapitre commence donc avec des bouts de ce livre, , présentés dans l’ordre d’écriture – on peut ainsi passer du chapitre 3 au chapitre 15, puis au chapitre 1, qui revient d’ailleurs plusieurs fois, raconté sous différentes formes. À la fin de chaque chapitre fictif, l’auteur raconte ses propres tribulations dans les rues et les bars de la capitale portugaise avec son amoureuse Clara et son ami Nicolas, en quête d’inspiration.
Processus de création oblige, des morceaux de ce récit se retrouvent dans son roman. Ainsi, anecdotes, prénoms, lieux et descriptions sont souvent les mêmes, mais légèrement modifiés, si bien qu’on peut lire la même histoire plus d’une fois, mais dans un contexte différent. Un exemple ? Il y a une Nina dans le roman et dans la vie de l’auteur, mais celle de la « vraie » vie s’appelle Helena. Sauf qu’avant de savoir son « vrai » nom – car est-ce vraiment le sien ? –, Patrice l’a surnommée Nina comme le personnage de son roman, et a continué de l’appeler ainsi…
Si vous suivez toujours, bravo. Sinon, ce n’est pas si grave, puisque plus on avance dans ces 337 pages au souffle fébrile, plus les deux histoires se rejoignent. La réalité s’immisce de plus en plus dans la fiction… et vice versa ! Un revolver caché dans un pot dans le roman est retrouvé dans l’histoire de Patrice. Gil, le détective engagé par l’auteur pour suivre Nina/Helena, entre en interaction avec Sebastian, le personnage central du roman. Ce dernier fait finalement irruption dans la vraie histoire, qui n’est évidemment pas plus vraie que la première, puisque narrée depuis un petit bout de temps à la troisième personne…
Les chemins des deux fictions, qui ne sont pas tout à fait parallèles, finiront, dans les derniers chapitres, par se croiser.
Avec des effets de double imparfait et de reflets flous, Patrice Lessard utilise un miroir déformant pour mieux leurrer, et amuser, ses lecteurs. S’il n’est pas mauvais d’avoir lu les deux premiers romans de la trilogie – le plaisir des références n’en est que décuplé –, se tient très bien tout seul. Et si on veut bien se laisser entraîner dans ce dédale littéraire qui sent la bière et la sueur, cet ovni survolté et hallucinatoire, déroutant surtout au début et auquel on devient vite accro, reste une expérience sans aucune commune mesure.